Home
  • linkedin
  • english

Culture

"La Loi de la Jungle" : un film sauvage qui grouille !

22 juin 2016

La loi de la jungle

Le dernier film d'Antonin Peretjatko "La Loi de la Jungle" grouille : il grouille par sa vitesse comique, il grouille de bêtes rampantes, gluantes, et collantes, il grouille d'idées, de gags plus lourds qu'un code de la norme mais reste sauvage et libre dans sa forme !

On se demande un peu dans quelle jungle on est tombé en début de film, ça va à toutes berzingues, c'est un peu hystérique, il y a ces gags sur le financement du film, cette marianne à la fois lourde et légère qu'on lâche sur la forêt, où l'on se croirait dans un film à la Jean Yanne, un film à la Tati, bref, on ne sait pas bien où on est, il y a des faux raccords assumés et répétés… ce film n'est pas dans les clous !!! (tiens, tiens... pas de scripte au générique...)

"La Loi de la Jungle" est un film foutraque, plein de lourdeurs, mais qui vibre par sa liberté de ton, de jeu, d'écriture, et c'est ce qui séduit. Marc Châtaigne (Vincent Macaigne), stagiaire de métier, est envoyé par le Ministère de la Norme en Guyane pour vérifier si le chantier de "Guyaneige", une station de ski couverte, est conforme aux normes européennes. Accompagné sur place par la superbe stagiaire Tarzan (Vimala Pons), il va devoir faire face au chaos tropical.

Cette accumulation volontaire de clichés et d'obstacles administratifs ne constitue pas selon moi une critique assez efficace de notre système et parasite parfois un degré zéro de lecture tout aussi appréciable. On peut ainsi se laisser aller à profiter du non-sens pur, des paysages exotiques, des sensations de moiteur de la nature, et surtout, on se délecte du jeu des acteurs.
Vimala Pons à la fois torride et ultra-comique bouscule Vincent Macaigne, pas trop lamantin pour une fois, bien équilibré dans sa peau de stagiaire. L'accélération de l'image à 22 images/seconde lui rend service et ajoute aux mimiques de Vimala une pointe supplémentaire d'hilarité.

L'une élastique, l'autre figé dans son rôle, le spectacle de ces deux corps, dans cet environnement visqueux, piquant et hostile est jouissif. On pense à la spontanéité formelle de Godard à ses débuts (et à Anna Karina), à Capra parfois, à Tarantino lors d'une scène musclée et absurde, où Vimala se transforme en Lara Croft burlesque. On pense aussi aux peut-être moins illustres "Banzai" de Claude Zidi ou "A la poursuite du diamant vert", de Robert Zemeckis... (ben oui !)

Au-delà des métaphores, ce qui marque dans ce film, c'est la très grande poésie qui s'exprime à travers la nature organique, humide, piquante. Chaque plan qui lui est consacré reflète une essence, la liberté, celle des origines, émouvante, un retour au sens et aux sens, en total contraste avec l'absurdité de nos conventions.

Culture

Hermann Hesse : les ailes de l'oisif

3 mai 2016

Hermann Hesse

Un peu surmenée ces derniers temps par l'apprentissage des codes et coutumes du web, j'ai choisi chez mon libraire préféré un bouquin qui sentait bon le calme et l'intelligence: "L'art de l'Oisiveté", de Hermann Hesse. Ses chroniques sur la culture, la nature et les voyages entrent avec une modernité surprenante en échos avec ce blog.

Hermann Hesse, pour moi, c'était déjà "Le loup des steppes" et "Siddhartha" deux de mes livres de chevets d'adolescente. Je soulignais presque chaque ligne de ces romans tant chaque phrase me parlait. Leur existentialisme accompagnait mes doutes à la perfection.

Des années plus tard (pas tant que ça!), j'évite de remuer ces doutes, et pour me détendre, je découvre "L'art de l'Oisiveté", qui répond encore en tous points à mes préoccupations du moment.
Ce livre réunit des propos, chroniques, lettres, réflexions sur le rapport de l'homme à la nature, à la culture, aux voyages.

C'est tellement moderne, qu'on dirait que depuis, il n'y a rien eu de nouveau sous le soleil (à part quelques particules fines et une ozone touchée, le réchauffement, la disparition d'un tas d'espèces, enfin pas mal de petits événements presque anodins … ). Ouais, sauf que ses textes datent pour certains d'il y a plus d'un siècle, pour la majorité des années 20.

Donc soit ce mec était résolument en avance sur son temps, soit on n'a pas avancé depuis plus d'un siècle, et ça, ça me met en rogne.

Hesse avait une réflexion d'avance, et puis l'humanité, quelque soit l'époque, ne change malheureusement pas avec les bouquins. La modernité et l'accélération du progrès dans les années 20 sont toujours d'actualité, même si la nature de ces progrès a changé.

Il regrette par exemple (…) que nos plus petites distractions soient depuis peu affectées par l'impatience moderne" et incite à "profiter des joies modestes de l'existence. En gros, profiter du temps présent, savoir être contemplatif et ouvert aux événements, qu'ils soient naturels ou culturels.

Là où il m'interpelle particulièrement, c'est lorsqu'il se moque de la façon dont les voyageurs ou les artistes s'emparent d'une ville ou d'un paysage et l'arrangent à leur sauce. Il dit, en parlant des montagnes, des lacs ou des ciels, que chacun d'eux constitue comme nous une partie d'un ensemble, une forme à laquelle se manifeste une idée, nous devons nous mouvoir parmi eux en utilisant nos capacités propres et les moyens spécifiques à notre culture personnelle, que nous soyons artiste, naturaliste ou philosophe. C'est notre être profond, et pas seulement notre être physique, qui doit se sentir relié et intégré au Tout.

Hare Krishna me direz-vous. Oui, il adorait la culture indienne mais non. On est aussi proche du buddhisme mais on est surtout sur une forme de liberté liée à notre appartenance à la nature : en chaque homme sommeille une communion oubliée avec le soleil et la terre. Il suffit qu'il la sente à nouveau pour qu'il se rie du poète, du peintre et du garde forestier, pour qu'il ouvre largement ses sens et son âme au monde extérieur et se laisse pénétrer par le souffle de la création.

Et c'est là que je veux en venir: il prône l'humilité, l'expérience des sens, l'homme comme l'animal dans son milieu naturel, tout comme ce blog !

Même son récit sur la musique invoque la nature et notre expérience personnelle, ses "Nuits d'insomnies" nous réconcilient avec elle, et "Recueillement" est l'un des plus beaux textes sur la quarantaine que j'ai pu lire.

Il y a quelque chose d'universel dans cette écriture essentielle. Prix Nobel de Littérature en 1946, je crois bien qu'Hermann Hesse aurait excellé à la rédaction de ce blog !

PS: à l'occasion de cet article, j'ai découvert avec grande déception que "oisif" ne vient pas du mot "oiseau"… dommage…

Culture

"The Revenant": de la nature humaine

18 mars 2016

The Revenant

Le dernier film d'Alejandro Gonzalez Inarritu n'offre pas la beauté contemplative d'un retour à la terre bienfaitrice, mais nous propose d'assister au combat carnassier de l'homme contre lui-même… éprouvant et charnel.

Avais-je oublié "Amours chiennes" ? Comment avoir pu imaginer un instant que "The Revenant" me proposerait l'errance philosophique attendue à travers des paysages grandioses et une nature miraculeuse ? Alejandro Gonzalez Inarittu n'est pas Terrence Malick, d'où vient cette méprise ?

De mes propres envies du moment certainement, car si je m'étais un tant soit peu intéressée à l'histoire vraie et au personnage dont s'inspire le film (Hugh Glass), je l'aurais abordé autrement ! Le battage médiatique autour des récompenses attendues de Leonardo di Caprio a peut-être déformé ma façon d'approcher la projection.

Car The Revenant est rugueux, non complaisant. La mise en scène nous plonge sans ménagement dans l'environnement d'un trappeur, un chasseur, un homme qui traque les bêtes pour prélever leurs peaux. La nature est le tableau dans lequel il évolue, mais il est ici davantage question de chair: celle des animaux, dont on mange la viande, dont on fait des peaux, dont on se sert d'abri... et celle des hommes : Fitzgerald a survécu à son scalp, Hawk a le visage brûlé, et Glass est meurtri à tous niveaux dans sa chair. Sa peau et son cœur sont déchirés à jamais.

Et c'est l'une des plus grandes réussites du film : Inarritu et Di Caprio dans le rôle de Glass ont su évoquer les gestes, l'attitude charnelle des animaux fragilisés, blessés, en marche vers la mort. Charnel n'a d'ailleurs jamais aussi bien trouvé sa définition : "Charnel: adj. (lat. carnalis, de caro, chair). Relatif à la nature animale, aux sens: plaisirs charnels. // Qui concerne la chair (par oppos. à l'esprit): les liens charnels." (source: Petit Larousse)"

Glass survit donc comme un animal, mais il revient, avec acharnement, comme un homme, motivé par un désir de vengeance typique de son espèce. Ici, les indiens ont les mêmes bas instincts que les colons: il n'y a pas de bon sauvage, pas de mauvais blanc, il y a la nature humaine !

La mise en scène, les plans et les mouvements de caméra sont géniaux, le spectateur se retrouve malmené au cœur des scènes d'action, empathique mais statique au chevet du personnage, il a aussi parfois accès au ciel. Big up au maquillage et aux costumes, il n'y a pas une faute de goût, et tout paraît très réaliste. Techniquement, Inarritu a réussi de belles prouesses dans un milieu particulièrement difficile, l'interprétation est parfaite, les Oscars sont mérités, mais…

Sans parler de morale, on finit quand même par se demander quel est le propos de ce film, s'il y en a un. Tous pourris ? Pas facile de vivre à l'époque? Pas facile de survivre en milieu sauvage ? La vengeance est-elle dans les mains de Dieu ? L'homme est-il un animal comme les autres ? Dieu est-il vraiment un écureuil ?

Dans le genre western, on a connu scénarios plus élaborés et on peut regretter parfois le second degré de Tarantino ou les métaphores et références du Dead Man de Jarmusch …

Finalement, The Revenant n'est pas le film qu'on pensait voir, mais c'est un film brut et sauvage, et c'est sa très grande force !